mardi 25 janvier 2022

La prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon

 


        L'étude de cette enluminure du XIVeme siècle peut être une étude de cas / porte d'entrée dans le chapitre consacré aux croisades en 5eme. Il s'agit d'une image tirée du livre "Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr" (Historia rerum in partibus transmarinis gestarum) en 23 livres. Guillaume (1130 - 1186) est le premier "historien des croisades". Il rédige son ouvrage plus de plus de 50 ans après les événements narrés sur l'image mais ses sources et son vécu, dans les Etats Latins d'Orient en étant précepteur du Roi de Jérusalem Baudoin IV le Lépreux, font de Guillaume une source de premier plan ! L'oeuvre présentée ici est très certainement postérieur au texte puisque le livre de Guillaume a été maintes fois copié et recopié jusqu'au XIIIème siècle grâce au talent de Guillaume qui narre les exploits chevaleresques. Il s'agit donc ici d'une enluminure extraite d'une copie.

    Il est d'abord toujours très intéressant de montrer aux élèves l'endroit, le lieu où l'on peut voir l'œuvre, ici le manuscrit, ce qui permet à l'élève de se rendre compte de la place de l'image dans le livre, la taille du livre etc... et de montrer ainsi qu'une enluminure est liée à sa page, son complément. Il est alors nécessaire d'expliquer également ce qu'est une enluminure : une image peinte à la main censé illustrer le texte. D'une manière générale, les enluminures sont dessinées sur des parchemins qui supportent davantage l'encre, les couleurs, les composés chimiques des couleurs,... L'ensemble de cette introduction peut aussi raccrocher ce cours au travail des moines copistes lors de l'étude de l'Eglise.

La page complète avec l'enluminure permet de se rendre compte de sa place sur la page.
Désolé pour la qualité

    L'image présentée ici est une oeuvre inconsciente de propagande. Nous sommes ici dans l'épisode ultime de la Première Croisade et l'objectif premier est de légitimer l'entreprise guerrière occidentale et d’établir un parallèle entre l'action entreprise par Godefroi et ses hommes et les derniers jours du Christ avant l'Ascension. Dans les deux cas, il y a le thème de la souffrance et du don de soi dans les 2 scènes représentées mais on cherche également à montrer la réussite du projet au prix de cette souffrance : l'un monte au Paradis quand l'autre monte sur les remparts de la Ville sainte pour remporter la victoire qui ne peut être que légitime. Cette image permet implicitement à l'élève de comprendre en partie les motivations des protagonistes et l'influence de leur action sur le reste du monde occidental chrétien. Lorsque Godefroi s'empare de Jérusalem en juillet 1099, le retentissement est capital. La ville sainte est pour l'homme du Moyen-Age le centre du monde, à l'intersection de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique, à l'image de la Sainte Trinité chrétienne. En prenant Jérusalem, Godefroi déplace le curseur occidental à l'est du monde connu et surtout, il montre que l'Occident revient dans cette partie du monde par les armes avec la légitimité religieuse mise en parallèle sur l'enluminure. Il renoue aussi avec la part d'occidentalité de Jérusalem mise en veille depuis des siècles avec la main mise byzantine puis musulmane. Près de 10 siècles séparent les 2 événements et ce chiffre symbolique transcende également le dessin.

    Il est bien sur évident que l'artiste embellit l'événement de juillet 1099 en reprenant les thèmes traditionnels spirituels associés à l'esprit de croisade, en y mêlant ainsi les aspects religieux et militaires de façon indissociable: l'un va avec l'autre donnant ainsi naissance à l'esprit de guerre sainte dans sa conception chrétienne médiévale. La croisade est alors vue comme un acte pieux. La lecture de l'image, une des activités préférés des élèves (et de l'enseignant) visant à décrire et à expliquer ce qu'il voit (et ce qu'on ne voit pas) sur l'image permet de distinguer 2 temporalités : 

    - Au premier plan, l'action militaire pure, une scène de guerre dynamique. Godefroi est parfaitement  reconnaissable par son emplacement sur l'image à la tête de ses hommes en haut des remparts, mais également par sa taille (il est le plus grand) mais aussi par son blason (un fond jaune, une bande rouge en diagonale et trois oiseaux). Nous distinguons également les échelles permettant la prise de la ville, l'art du siège et de la poliorcétique. Les soldats - chevaliers en armes sont accompagnés d'engins militaires : tour en bois monté sur roues avec une passerelle, trébuchet.... La force est dans ces soldats qui marchent, montent, prennent la ville d'assaut.

Le Trébuchet du document

  

Un trébuchet... de cinéma. Image du film Kingdom Of Heaven, R. Scott, 2005

    - Au second plan, on distingue cette fois une scène tirée du Nouveau Testament. Il s'agit des images de la Passion : le procès de Jésus, la flagellation, le chemin de Croix et ses 12 stations, la crucifixion et les Saintes femmes. En tout 5 images pieuses des derniers jours du Christ qui se sont déroulés à Jérusalem. Autre scène religieuse de l'image : la montée au Paradis que nous trouvons à gauche, positionnée à l'extérieur de la ville et donc du champs de bataille. Les morts accèdent légitimement par leur bravoure et surtout leur sacrifice dans la gestuelle combattante et religieuse au Royaume des Cieux. Loin d'être négligeable à cause de sa situation en arrière-plan, la vision de ce Royaume des Cieux est une des clés essentiels de l'enluminure. 

Les scènes de la Passion.
Une mise en abîme : l'artiste représente ces 5 scènes emblématiques 
comme s'il s'agissait... de vitraux.

    

Le Royaume des Cieux

     L'auteur imbrique ainsi ces deux scènes qui semblent, avec la hiérarchie des lieux, s'empiler par le manque de profondeur caractéristique des œuvres de cette époque. Comme dans toutes les images de cette époque, il y a un problème dans le respect des échelles et des ordres de grandeur mais le talent de l'enlumineur est d'imbriquer la scène de la Passion dans les vitraux de l'église de Jérusalem en arrière-plan. Il s'agit très probablement de l'église du Saint-Sépulcre, bâtie là ou le Christ a été crucifié. Il y a ainsi point de convergence de l'ensemble des protagonistes vers ce seul et unique lieu au prix de la souffrance. On remarquera que les adversaires du Christ sont présents sur les images de la Passion (notamment lors de la flagellation) mais les assiégés musulmans sont absents face aux troupes de Godefroi, sublimé par l'artiste à la tête de ses hommes. 

Godefroi

    Pour compléter l'étude cette image médiéval, on peut l'associer à des textes racontant la même scène afin de montrer la diversité des points de vue : ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, les différents aspects de ces opérations militaires et les ressentis. Ce qu'on connait de la bataille est toujours source d'interprétation et il est ainsi nécessaire de confronter les points de vue qui permet de faire comprendre que pour un tel événement, le ressenti n'est pas le même. Cela permet aussi de comprendre la fragilité de la victoire occidentale (qui dit victoire dit tenir sa position) et l'esprit de revanche (Djihad) qui va s'installer dans les mentalités arabo-musulmanes. 


    Toujours pour les élèves du niveau 5eme et 2nde, le document permet aussi de montrer les éléments architecturaux d'une église que 'on étudie dans un autre chapitre. En effet, l'artiste détaille de façon admirable l'église qui symbolise la ville. Nous sommes bien sur loin de l'aspect véritable de l'édifice religieux originale dont on peut trouver facilement sur internet une image et l'élève ainsi se rend facilement compte que l''artiste n'était pas présent lors de la bataille, voir même qu'il n'a jamais été à Jérusalem. 



    Avec les élèves, les activités sont multiples autour de cette enluminure et montre qu'un fait militaire en dit bien plus sur la mentalité de l'époque, le contexte, la géopolitique et les rapports de force, mais aussi la conception de la vie après la mort, l'architecture, les rites religieux,... Porte d'entrée de cette étude de l'expansion occidentale au XIeme-XIIIème siècles, l'enluminure de la prise de Jérusalem permet ensuite de suivre les aléas des Etats chrétiens d'Orient avec quelques cartes et documents. 

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